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Les 4 Soeurs à la maison : semaine 3 et 4

Une nouvelle semaine à la maison s'annonce pour LunaLaureLisa et Lou...

QUATRE SŒURS À LA MAISON

Semaine 3 : 1001 activités ! 

- Je crois que j’ai mis trop de farine. La balance indique 500. C’est des kilos ?

 

Lou et moi, on lève les yeux au ciel tandis que la voix de notre tante Caro retentit joyeusement.

- Non, Lisa, 500 kilos de farine déborderaient de ton saladier et envahiraient ta cuisine !
Caro est la plus jeune sœur de notre mère. Elle habite près de chez nous mais en cette troisième semaine de confinement, on se voit sur Skype. Pour ce week-end, elle nous a proposé un tuto pâtisserie. Comme dit Lisa, elle est « l’impératrice des gâteaux et impératrice c’est mieux que reine, je vous signale ».

- J’ai sorti les œufs ! crie Luna.

On se tourne toutes vers notre petite sœur. Elle porte QUATRE œufs au-dessus de sa tête comme des trophées.

- Luna, pas de geste brusque, je murmure d’une voix sourde.

Je m’approche doucement. J’ai l’impression d’être dans le film qu’on a regardé hier où le héros rampe au péril de sa vie pour couper le bon fil relié à la bombe prête à exploser.

- Voilà, je lance, soulagée d’avoir récupéré les œufs sans AUCUNE CASSE.

- Tu as vu, tatie, tout est prêt. Et moi je vais monter les blancs en nage ! hurle Luna face à l’écran de la tablette.
 

Elle a un amour irrationnel pour le batteur électrique et une vraie obsession en pâtisserie : séparer les blancs des jaunes. Mais, en cette période de confinement où on ne fait pas tous les jours des courses, hors de question de la laisser casser un seul œuf car, une fois sur deux, elle rate l’opération. Je m’éclipse discrètement pour laisser Lou gérer le torrent de larmes qui va inonder la cuisine quand elle lui dira « Non Luna, aujourd’hui ce n’est pas toi qui sépares les blancs des jaunes ».

J’appelle Justine, ma Best Friend préférée, pour notre point hebdomadaire spécial confinement.

- Alors ? me demande-t-elle sans passer par la case « Allô, ça va ? ». Tu en sais plus sur le mystérieux inconnu ?

- Hello Juju. Oui, ça va super. On est tous en forme même si mes parents sont très fatigués après leur semaine de garde à l’hôpital.

Le silence se fait, ce qui permet à Justine d’entendre la douce voix de Luna nous chanter sa nouvelle mélodie « Mais moaaaaa j’en ai maaaaaarre, je veux caaaasser les œufs… ».

- Oh désolée, Laure. C’est vrai que je ne t’ai pas demandé des news. Tant mieux si tes parents vont bien. Par contre, Luna n’a pas l’air au top. Elle dit qu’elle a mal aux yeux, c’est ça ?

Je souris et lui explique la colère de ma petite sœur, mais Justine revient au sujet brûlant du moment.

- Tu connais le prénom de cet inconnu ALORS ? Il t’a envoyé un nouveau message ?
 

- Non, je ne sais pas qui « il » est. Est-ce que c’est « il » ou « elle » en plus ? À part un premier SMS énigmatique « Confinement = G enfin le courage de t’écrire » auquel j’ai répondu « ok », j’ai juste reçu le deuxième message dont je t’ai parlé, aussi bizarroïde : « Tu me regardes sans me voir vraiment et pourtant je te vois me regarder ».
 

- J’ai repensé à ça. J’ai une hypothèse. Je pense que tu connais l’inconnu ou l’inconnuE.
 

- J’ai envie d’applaudir ta perspicacité, Justine. Mais j’ai les deux mains occupées, je déclare en riant. Si il ou elle m’écrit, c’est forcément qu’il ou elle me connaît !

Ma Best Friend se lance dans des hypothèses délirantes et me cite TOUS les Beaux Gosses du collège en me démontrant que « oui, c’est l’un d’eux qui t’aime en secret ». Je suis obligée de l’interrompre.

- Je retourne à notre recette, Juju. Lou me fait des signes et vu sa tête, elle va plonger Luna dans le saladier avec les œufs avant d’allumer le batteur ! Je te tiens au courant.

Dans la cuisine, Caro sourit derrière l’écran de la tablette ‒ Lou nettement moins.

- Merci pour ton aide, me lâche-t-elle. La prochaine fois, moi aussi j’aurai un appel urgent en pleine crise des œufs !

Je lui fais une grimace en mode « Tu n’es pas ma cheffe, je fais ce que je veux ». Elle saisit le batteur et me vise le cœur en avec un « boom » retentissant. Je pose ma main sur ma poitrine et m’écroule en criant :

- Oh my God, c’était donc toi la traîtresse…

- Tu as tué Laure ! déclare Lisa en s’agenouillant à mes pieds. C’est horriiiible ! Qu’allons-nous devenir ? Trois sœurs, c’est moins bien que quatre !

- Non, c’est mieux ! se réjouit Luna qui essaie de s’emparer du batteur. On aura plus de place dans la cuisine !

Elle s’amuse comme une folle et danse autour de moi un ballet machiavélique.

- Mais c’est quoi, ce bazar ? s’étonne notre mère qui découvre ses filles en pleine scène tragique et sa sœur en tenue de pâtissière à l’écran. Caro, tu fabriques quoi avec les filles ?

- Je teste un tuto pâtisserie, explique notre tante en levant les yeux au ciel. Vu la vitesse à laquelle on avance, je ne suis pas certaine qu’on réussisse à cuire un seul gâteau avant la fin du confinement.

Notre mère éclate de rire.

- Je suis en repos aujourd’hui, donc je vais gérer la pâtisserie avec Lisa et Luna. Lou et Laure, vous avez quartier libre ici. Vous vous occupez assez de vos deux petites sœurs dans la semaine…

On saute toutes les quatre dans les bras de notre mère !

C’est le week-end, je n’ai pas de devoirs, donc… je me sens un peu en vacances.

- On est liiiibérées, déliiivrées ! je chantonne en retrouvant Lou dans sa chambre.

- Oui, libérées, délivrées mais confiiiinées ! déclare Lou, sinistre.

- Couleur sombre… humeur sombre ? je murmure en désignant le jean et le sweat bleu marine que ma sœur vient d’enfiler.

- Bof, me répond-elle en s’allongeant sur son lit. Troisième week-end ici sans voir Maxou ni mes potes. Comment veux-tu que je sautille en mode coolitude ?

Je grimace en m’asseyant à côté d’elle.

- Tu n’as qu’à leur téléphoner, je propose. Une heure avec Max, une avec Marlène, une autre avec Aliénor.

- Laisse tomber. On est tous connecté.e.s 24/24. Ce que je veux, c’est les toucher, les embrasser, être juste à côté d’eux, quoi ! Pas séparés par un écran…

- Et Maxime, ça va ? je demande prudemment.

- Oui, soupire Lou. Son dernier message extrait du poème Il n’y a pas d’amour heureux d’Aragon m’a mis la larme à l’œil : Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard, que pleurent dans la nuit nos cœurs à l’unisson, il n’y a pas d’amour heureux…

- C’est super gai. Et ça donne vachement d’espoir, je commente, laconique.

Lou me regarde, un sourire moqueur sur les lèvres.

- Je vais peut-être lui dire d’arrêter les poèmes, chuchote-t-elle.

Je souris à mon tour.

- Ou exige qu’il t’envoie uniquement ceux qui ne conduisent pas au suicide ! Comme « Cheveux au vent tambour battant allons-nous en à la rencontre du printemps », la poésie de Maurice Carême que Lisa récitait en boucle l’an dernier. Au moins, ça donne envie de se lever !

Lou et moi on se met à rire et ça fait du bien.

- Tu as raison, j’oubliais que le printemps est là ! lance-t-elle. Allez, je vais me changer et faire une séance de yoga avec salutation au soleil, histoire de me vider la tête !

- En parlant de séance, tu sais que Justine donne un cours de stretching chaque semaine ? Comme elle a un coach, dans son immeuble, qui propose une séance de fitness gratuite sur son balcon, elle a eu envie de contribuer aussi au « bien-être collectif ». Tous les mercredis après-midi, elle s’installe sur son balcon et montre des étirements qu’elle a appris à son école de danse.

-  Cool ! réagit Lou. Il y a du monde qui la suit ?

- Pour l’instant, juste un ado en face de chez elle… Justine dit qu’il est aussi souple qu’un hippopotame et qu’il fait ça pour la draguer !

- Dommage qu’elle ne puisse pas donner ses cours à nos deux mamies du quatrième étage, déclare Lou en souriant. Ça les occuperait un moment.

J’imagine nos deux voisines du dessus (dont l’une a au moins 112 ans, d’après Lisa), en justaucorps, faire un grand écart facial ou une salutation au soleil sur leur balcon comme Justine ! Ces deux mamies restent confinées chez elles, alors Lou et moi on fait leurs courses une fois par semaine et on prend toujours le temps de discuter (de loin) avec elles en leur livrant un tote-bag rempli.

Lou cherche un cours de yoga en ligne et soudain j’ai une illumination !

- Et si on demandait à Justine de nous donner un cours de danse ? je lui propose. Un truc qui nous défoule VRAIMENT ?

- Du type « Move your body and don’t stop the rythm ? » sourit Lou.

Il me faut dix secondes pour joindre ma Best Friend. Elle est archi fan de notre idée. En plus, l’idée de mettre la musique à fond dans sa chambre pour rendre son frère fou la ravit !

- Hier, Yan a passé une heure en ligne avec ses copains sur un jeu vidéo. Ils poussaient des rugissements de bêtes sauvages, m’explique-t-elle. Chacun son tour ! Je vais brancher ma caméra sur l’ordi du salon, ne bougez pas.

Lou et moi, on enfile nos leggings et on se connecte à Justine. Notre remue-ménage attire nos deux petites sœurs qui ont fini leur séance pâtisserie depuis un moment.

- Nous aussi, on veut danser, annonce Lisa alors que Lou lui explique notre projet.

- Prêtes, les girls ? crie ma copine à l’écran. On échauffe nos corps avant d’entrer dans la danse !

Les deux petites L partent ventre à terre se changer. Elles reviennent dans le salon avec des tenues improbables. Lisa a enfilé un bas de pyjama fluo avec un sweat rose à paillettes. Luna a mis un vieux tutu défraîchi cent fois trop grand pour elle et elle porte le diadème de la Reine des Neiges… Quand notre mère apparaît elle aussi en tenue de sport dans le salon, on se met toutes à applaudir !

- Justiiiine, je lance alors qu’on s’aligne devant l’écran, on compte sur toi pour nous faire oublier qu’on est confinées ! Envoie du lourd !

Ma Best Friend nous fait un grand sourire avant de déclarer :

- Mesdemoiselles et madame Juin… c’est partiiii !

Et on passe presque une heure à danser en musique. Notre père fait même les quinze dernières minutes du cours avec nous et je finis écroulée de rire sur le canapé, vu sa grâce éléphantesque.

Justine nous propose un rendez-vous danse tous les samedis qu’on accepte avec enthousiasme !

Après le déjeuner, je dessine un peu dans ma chambre. J’en profite pour découvrir la caricature du jour de mon Best Friend. Ulysse est doué en dessin et depuis le confinement, il est super actif sur son compte Instagram. Son post me fait rire : il représente notre prof d’histoire-géo, seul devant ses copies, pleurant de désespoir avec cette bulle : « Mes élèves me manquent tellement… Je ne peux plus leur hurler dessus ». Je lui envoie :

 

C’est drôle que tu dessines Fabian. La semaine dernière, G rêvé qu’on était en cours avec lui et on était trop heureux toi et moi.  

 

Argh ! Moi, aimer Fabian ? Impossible. Quand le confinement cessera j’espère que sa famille oubliera de le prévenir ! Au fait j’envisage de monter une tente sur mon balcon. Tu aurais un tuto ?

En réponse à mon smiley interrogatif, Ulysse me précise qu’il veut vivre des nuits « comme un moine boudhiste mais en pyjama ».

Opposons spiritualité à confinement forcé. Je me débarrasse des murs qui m’enferment en rejoignant l’extérieur chaque nuit. La tente avec duvet C pour pas mourir de froid.

J’exige un reportage photos.

OK pour qques selfies mais ne rêve pas tu ne verras JAMAIS mon pyjama-licorne. Roses, vertes et jaune fluo les licornes. C Violent.

Quand je reprends mon dessin, j’ai le sourire aux lèvres. Parler avec mes ami.e.s me donne toujours la pêche !

La délicieuse odeur de gâteau qui s’échappe de la cuisine me donne ENCORE plus la pêche ! C’est la preuve que maman a sorti le moelleux du four et qu’il est prêt à être dégusté…

Je fais une tentative d’approche, mais les deux petites L (qui semblent ranger quelque chose dans le placard) se retournent vers moi.

 

- Maman a dit que ce serait notre dessert pour le dîner. Si tu en touches une miette, j’appelle la gendarmerie nationale ! lâche Lisa d’un air sévère.

- Oui, on l’appelle pour de vrai la gendramerie, répète Luna, mains sur les hanches.

- OK, je réponds en levant les deux mains. J’abandonne toute tentative de vol, alors ne me grondez pas, please…

Lisa et Luna hochent la tête, satisfaites. Je les regarde avec l’air le plus triste possible. Et comme elles sont AUSSI deux petites sœurs au grand cœur, elles me tendent en même temps les carrés de chocolat (tout fondus) qu’elles venaient de chiper et qu’elles gardaient au creux de leur main ! On partage notre trésor.

Après ce petit moment de bonheur sucré, je soupire d’aise en m’allongeant sur mon lit. Prise d’une inspiration, je saisis mon portable. J’ai décidé de résoudre toute seule le « mystère mystérieux du messager inconnu » et je réponds (enfin) à son message.

Si tu es un petit farceur (ou une petite farceuse), passe ton chemin. G d’autres priorités que de savoir qui tu es vraiment.

Je poste mon message en me félicitant. Je cours prévenir Lou qui est au courant des SMS bizarres que j’ai reçus.

 

- Je suis sûre que le « mystère mystérieux du messager inconnu » s’est achevé à la seconde où j’ai appuyé sur Envoi, je déclare, satisfaite. Je vais pouvoir me consacrer à des choses bien plus utiles !

 

- Du genre ? demande Lou avec une moue. Écosser les petits pois ?

Je hausse les épaules en marmonnant que non, j’ai des projets d’aide collective moi aussi, comme Justine.

- L’un n’empêche pas l’autre, lance Lou. Un mystère sur ton écran et un investissement au quotidien pour une bonne cause ! Il faut savoir distinguer le futile du sans-intérêt, l’inutile du…

Je n’écoute plus Lou. Mon portable vient de vibrer. Je lis le message qui s’affiche.

 

- Laisse tomber le cours de morale ! je murmure à Lou avec un petit sourire. Le mystère est relancé. Et là…

 

À SUIVRE...

Sophie Rigal-Goulard

Semaine 4 :  Love and peace, Suzanne et Thérèse ! 

 

- J’ai oublié mon cartable !

- Le bus t’attend. Cours vite le chercher.

La porte de ma chambre laisse filtrer un rai de lumière. J’ouvre péniblement un œil alors qu’une cavalcade retentit dans le couloir.
 

- Ça y est, soupire Luna de retour dans ma chambre. Je l’ai.

- Ouf ! Le bus va partir. Tu as passé ta carte ? chuchote Lisa.

- Ah oui, c’est vrai ! Il est où, l’appareil ? Sur le bureau de Laure ?

Un instant, je me persuade que je rêve : non, c’est impossible, mes deux petites sœurs ne sont pas en train de jouer dans ma chambre, à 7 h 45, en cette quatrième semaine de confinement.


- Oui, tu n’as qu’à passer la carte sous la lampe de bureau, c’est bien. Attention, le chauffeur va fermer les portes, annonce Lisa.

- C’est cool d’aller à l’école en bus, pour une fois ! lui répond Luna, ce qui confirme mes doutes.

- Je n’y crois pas ! Vous jouez VRAIMENT dans ma chambre pendant que je dors, je déclare d’une voix (très) tendue.

Je m’assois péniblement tout en allumant la lumière de mon chevet. Lisa et Luna sont assises au bout de mon lit, leurs cartables sur le dos. Qu’elles soient en mode « écolières qui partent travailler » ne me surprend pas car je sais qu’elles font un trajet virtuel jusqu’à l’école chaque matin. Mais que ma chambre devienne un passage obligatoire pour elles, j’ai beaucoup plus de mal à l’accepter !


- En fait, c’est juste que notre chambre, c’est l’école, et que Lou nous a interdit d’entrer dans la sienne, se justifie Lisa.

- Aujourd’hui, pour changer, on voulait aller en bus à l’école, ajoute Luna.

- Donc si j’ai bien compris, vous avez décidé que MON LIT était un bus. C’est ça ? Vous avez à votre disposition un canapé et deux fauteuils au salon, une grande baignoire dans la salle de bain, six chaises à la cuisine, un petit banc dans l’entrée mais vous, vous préférez choisir MON LIT ?

Ces deux derniers mots ont été prononcés avec force et vigueur. Mes petites sœurs sursautent.

 

- Oh Luna ! s’exclame Lisa en montrant du doigt ma porte. C’est notre arrêt ! Vite, on descend.

Lisa et Luna détalent en un temps record ! Je me dirige vers la cuisine en bougonnant. Lou y boit un jus de fruits et si j’en juge sa tenue (pull rayé et pantalon vert printemps), un beau soleil règne sur son humeur, contrairement à moi…


- C’est incroyable ! je lance en attrapant du lait et du granola fabrication maison (une tuerie...). Tu sais que Lisa et Luna ont transformé mon lit en bus scolaire ?

- Oui, elles sont trop, trop, drôles ! me répond-elle. Elles me font mourir de rire parfois.

- Tu plaisantes ? Ma chambre est devenue leur espace de jeu et toi tu...

- Sois cool, Laure. C’est une période difficile. Faisons tous preuve de bienveillance et de patience. Peace and love, ma sœur, paix et amour !

Et elle quitte la cuisine en chantonnant. J’ai juste le temps de lui crier : « C’est pour ça que tu leur as interdit l’accès à ta chambre ce matin ? C’est ton côté peace and love ? ». Ma phrase reste sans réponse.

Je hausse les épaules devant mon bol et je me concentre sur mon petit-déjeuner avant de retourner dans ma chambre. Ce matin, je dois ABSOLUMENT finir le contrôle de géo donné par mon redoutable prof M. Fabian. Même en confinement, il arrive à me donner des sueurs froides !

Tu as posté le devoir pour Fabian ? je demande à Ulysse, histoire de m’accorder une pause avant de travailler. 

Non en ce moment je gère la partie camping de mon immeuble.

J’envoie plein de smileys qui s’étonnent et Ulysse finit par me téléphoner.

 

- Ça ira plus vite si je t’explique tout de vive voix, déclare-t-il. Figure-toi que ma retraite en mode moine bouddhiste sur mon balcon a inspiré mes voisins ados. Celui de l’étage du dessus et celui d’en face dorment aussi sous la tente depuis deux nuits.
 

- Nan, sérieux ? je lui réponds, amusée.
 

- Pour de bon ! Du coup, le soir, à partir de 20 heures, on est les premiers à applaudir les soignants de France. Ensuite, on se parle de balcon à balcon. Hier soir, une fille de la 3e B qui vit au sixième étage nous a demandé des conseils pour installer sa tente. Là, je prépare une note avec des consignes toute simples que je vais glisser dans les boîtes à lettres à l’entrée de l’immeuble. Je ne peux pas tout faire, Laure... gérer le devoir de Fabian et conseiller les adeptes de la retraite spirituelle sur leur balcon.
 

- N’oublie pas de faire ton dessin du jour, Ulysse ! je lui rappelle. Moi, je te vois beaucoup plus en dessinateur qu’en moine !

Avant de raccrocher, mon Best Friend me promet de poster une caricature sur son compte Insta avant la fin de la journée, où il va rendre un bel hommage à notre prof préféré.

Cela me rappelle que je dois me replonger dans mon devoir de géo, continuité pédagogique oblige. Je passe au moins une heure à mon bureau, penchée sur mes feuilles. J’ai la paix côté
« école des deux petites L » puisque ce matin, c’est Lou qui gère leur travail scolaire.

À 10 heures, des bruits s’envolent de la chambre d’à côté. Plus les semaines passent, plus les récréations de mes sœurs sont longues et bruyantes ! Hier, elles ont même fait une récré sur le thème « Fabriquons de la pâte à cookies ». Lou et moi, on a été obligées de lancer une après-récré « Nettoyage de la cuisine et que ça saute ! ».


- Laure...

Je ne me retourne pas. Je sais déjà, à l’intonation de sa voix, que Luna veut me demander quelque chose.


- Laure. Tu sais que vraiment on regrette de t’avoir réveillée.

Si Lisa s’en mêle aussi, ça signifie qu’elles ont TOUTES LES DEUX quelque chose à me demander...

 

- Oui parce que, en plus, le banc de l’entrée fait mieux le bus que ton lit, insiste Luna. D’ailleurs, on va rentrer de l’école comme ça. En banc !


- Et plus jamais on ne te réveillera. Non, plus jamais de toute notre vie. Hein, Luna ?

Même si je reste penchée sur mon devoir, je sais que Luna hoche la tête très fort. (Elle fait toujours cela quand elle veut être persuasive.)


- OK, je lance en soupirant. C’est quoi, maintenant, votre problème ? S’il est scolaire, c’est au tour de Lou...


- Non. On a presque fini TOUS nos devoirs. On a eu une idée pour cet aprèm, m’explique Lisa.


- Cooool ! C’est important d’avoir des idées pour s’occuper pendant le confinement. Je suis fière de vous. Ciao ! Fermez la porte en sortant.

Je retourne à mon devoir en priant le dieu de l’histoire-géo de tout faire pour que la vue de mon dos donne à mes petites sœurs l’envie de faire demi-tour et de quitter ma chambre. Elles ne décollent pas.


- Tu veux la connaître, notre super idée ? insiste Luna.

- C’est vrai, elle est super mais sans toi, elle sera moins bien. LARGEMENT moins bien, même !

Il y a des fois où lutter est inutile. Ce sera ma pensée du jour.


- Allez, parlez-moi de votre « super idée qui sera moins bien si je n’y participe pas ».

 

- Tu sais que madame Martin a une sœur ? déclare Lisa.

Je hoche la tête en essayant d’avoir l’air hyper intéressée. Mme Martin est une des deux mamies de notre immeuble à qui on fait les courses depuis le début du confinement. Parfois, Lisa et Luna ouvrent la fenêtre du salon pour discuter avec elle.

 

- Oui, mais elle n’a pas une sœur comme nous. Sa sœur est très, très, vieille, précise Luna.


- La grande sœur de madame Martin a dix ans de plus qu’elle, ajoute Lisa. Elle doit avoir 112-113 ans et elle vit dans un népade. Tu sais ce que c’est ?


- On dit « E H P A D ». Ça veut dire Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes, je précise en regardant la définition de cet acronyme sur mon portable. Ce sont des maisons qui accueillent des personnes âgées qui ne peuvent plus vivre chez elles.


- Voilà ! Eh ben Thérèse, la sœur de madame Martin, elle est toute seule dans son népade, grimace Luna. Avec le confinement, personne ne peut aller la voir, alors, Suzanne, elle est triste. -
 

- Arrête d’appeler madame Martin « Suzanne », c’est pas ta copine non plus ! Bon. On s’est dit avec Luna qu’on pourrait écrire à Thérèse et lui faire un beau dessin. Seulement on a besoin de toi parce que tu dessines trop, trop, bien.

 

- Et pourquoi toi, tu parles de « Thérèse » alors que moi, j’ai pas le droit de dire « Suzanne » ? lâche Luna, les poings sur les hanches.

Je souris en regardant mes deux petites sœurs. Elles sont peut-être ultracollantes, mais qu’est-ce qu’elles sont chouettes...

C’est pour cette raison qu’après avoir envoyé mon devoir à M. Fabian et avoir déjeuné, je les aide à mener à bien leur mission : « Et si on écrivait à Thérèse dans son népade ? ».

On s’installe à la table du salon. Lisa prépare une lettre tandis que Luna et moi, on se charge du dessin (c’est-à-dire que Luna ordonne et moi j’exécute).

 

- Laure, tu dessines la campagne avec des vaches, des fleurs et des moutons. Ah... Il faut que tu mettes des lapins aussi ! Comme ça, Thérèse va oublier qu’elle est en népade. Moi, je ferai le ciel et le soleil.

 

- Et moi, je lui dis dans la lettre qu’on va lui écrire toutes les semaines, précise Lisa. Si elle veut, elle peut me donner le nom de ses copains et ses copines pour que je leur écrive aussi. Mais pas plus de dix. J’ai du travail à l’école, quand même !

Vers 15 heures, Luna commence un deuxième dessin toute seule et Lisa prend une troisième feuille pour continuer sa lettre… Je m’éclipse doucement dans ma chambre.

Mon portable a vibré trois fois dans ma poche et je n’ai pas voulu lire mes messages devant les deux petites L. Le « mystère mystérieux du messager inconnu » ne les regarde pas. Car c’est bien de lui qu’il s’agit ! Suite à mon dernier message où je tentais de lui faire comprendre que je me souciais peu de lui (ou d’elle ?), j’ai eu une réponse toujours aussi étrange.

Tu as l’air passionnée par des tonnes de choses et un mystère t’indiffère ?

- Rien que le mot « indiffère » prouve que cet inconnu est très zarbi, a réagi Justine quand je lui ai communiqué cette nouvelle. Tu connais beaucoup de jeunes qui utilisent ce vocabulaire ? Bientôt, tu vas avoir droit à « Gente dame, conversons encore un peu » !
 

Ma Best Friend est partie dans un énorme délire ce jour-là. J’ai fini par répondre au messager inconnu :

J’aime les mystères seulement quand ils me mènent quelque part.

Je viens de recevoir une réponse, quatre jours après ! En fait, ce sont deux réponses…

Tkt, je suis toujours une direction précise. NSOE sont des points de repère familiaux.

Moi aussi j’adore les mystères mais personne ne le sait.

Je relis quinze fois ces deux messages énigmatiques avant de les transférer à Justine pour avoir son avis. Elle doit être vraiment occupée puisqu’elle ne me répond pas. Je finis des exercices d’anglais et un problème de maths avant de rejoindre les deux petites L qui ont achevé leur mission « Et si on écrivait à Thérèse dans son népade ?». Elles recopient soigneusement sur une grande enveloppe timbrée l’adresse de la sœur de Mme Martin dans son EHPAD de Bretagne et je promets de poster leur lettre et dessins dès ma prochaine sortie.

 

Justine se manifeste avant la fin de l’après-midi.

- Une journée de ouf ! se plaint-elle. C’était l’opération courses pour mamie et courses pour la maison aujourd’hui, figure-toi. C’est long et compliqué, surtout avec un frère qui, à dix-sept ans, confond les fèves et les petits pois, le chou-rave et le chou vert. J’ai dû lui faire une explication de texte de la « liste de courses » avant qu’il entre chez le marchand de fruits et légumes. Une fois rentrée, j’ai donné mon cours de stretch sur le balcon. Figure-toi que j’ai maintenant quatre personnes qui me suivent. Et mon voisin ado lourdingue est TOUJOURS là, il s’accroche ! Sinon, j’ai eu le temps de lire les messages que tu m’as fait suivre.

- Tu en penses quoi ?

- C’est top bizarroïde. J j’ai une théorie.


Ma Best Friend se tait, avant de murmurer d’un ton mystérieux :

- L’inconnu semble te connaître. Et si c’était un garçon qui t’espionnait à l’aide de jumelles depuis une fenêtre ? Il aurait observé que tu fais mille choses en une journée. Il dit que « Tu as l’air de », comme s’il le savait.

L’hypothèse de Justine me paraît peu crédible mais, après avoir papoté un long moment avec elle et raccroché, je me dirige vers la chambre de Lou. C’est de sa fenêtre qu’on voit le mieux la cour intérieure de notre immeuble et j’ai besoin de faire un point sur nos voisins.

Lou est d’une humeur toujours aussi sautillante ! Elle discute avec Aliénor sur Skype et Max occupe presque toute la conversation. Désormais le « chéri de sa laïïfe » écrit ses propres poèmes, et sa première œuvre a littéralement plongé ma sœur dans le bonheur total depuis ce matin.

Lou chaque jour loin de toi me bouleverse

C’est une partie de ma vie qui se renverse...

- Tu vois, il me livre des sentiments bruts, et ça me bouleverse, explique Lou à Aliénor après lui avoir déclamé les deux premiers vers de la strophe (qui en compte douze d’après ce que j’ai compris ! Ah, Max, ce Baudelaire moderne...). Bon, je te rappelle, Laure est là.


Elle se tourne vers moi, intriguée que je scrute la cour de l’immeuble où, depuis le début du confinement, il ne se passe RIEN. Je lui explique que le « mystère mystérieux du messager inconnu » se prolonge, avant de lui livrer la nouvelle théorie de Justine. Elle me rejoint pour observer à son tour les fenêtres qui nous font face.

- Tu crois que quelqu’un m’espionne en ce moment même ? je murmure. Mais, dans ce cas, comment aurait-il obtenu mon numéro de portable ?

On entend une cavalcade dans le couloir et la porte d’entrée claque. Le « maman chériiiiie » de Luna et « mon paaapounet » de Lisa sont retentissants !

Nos parents sont de retour de l’hôpital et comme tous les soirs, on va les fêter comme il se doit.

Mon mystérieux mystère attendra encore un peu...

 

À SUIVRE...

Sophie Rigal-Goulard